samedi 3 décembre 2016

"De Cape et de Mots", de Flore Vesco

Serine vit avec ses parents et sa ribambelle de petits frères qu'elle occupe en inventant des jeux et des histoires bien qu'on ne lui ait jamais appris à lire. A la mort de leur père, Serine décide de partir faire ses preuves à la cour du Roi en tant que demoiselle de compagnie de la Reine. Son franc parlé et son originalité vont lui permettre de se faire remarquer par la Reine parmi tous ses courtisans et lui valent une place de choix auprès de celle-ci. Malheureusement, Serine intrigue autant qu'elle attise les jalousies! Bien malgré elle, elle va se retrouver mêlée à une affaire des plus dangereuses, car à la cour, les complots et les manigances vont bon train !
Pour son premier roman, Flore Vesco a imaginé un monde qui n'est pas sans rappeler la cour de Versailles au temps de Molière ou de Beaumarchais. L'auteure nous offre une héroïne savoureuse, maline et débrouillarde que nous avons plaisir à suivre dans ses aventures. A travers l'histoire de sa pétillante héroïne, l'auteure dépeint les travers de la cour, ses faux semblants, son hypocrisie et n'hésite pas à tourner en ridicule nobles et courtisans. Mais ce qui fait aussi toute la saveur de ce roman jeunesse, c'est le style de l'auteure! Flore Vesco n'hésite pas à employer un vocabulaire d'une grande richesse, elle s'amuse avec les mots et fait de ses dialogues des petits chefs-d’œuvre. Pleine d'esprit et d'humour, elle joue également avec les codes du théâtre, empruntant à bon escient le personnage d'Arlequin! Mais je n'en dis pas plus car ce serait dommage de gâcher les surprises que réservent ce roman! Nul doute que cette histoire saura séduire les petits comme les grands enfants. Quant à moi, je suis conquise et vais m'empresser de lire son dernier roman jeunesse Louis Pasteur contre les Loups-Garous !


De Cape et de mots, Flore Vesco, Didier jeunesse, 2015
(182 pages)
 ★★★★★

lundi 21 novembre 2016

"Chaque soir à onze heures" de Malika Ferdjoukh

Willa Ayre vit à Paris. Ses parents sont séparés. Entre sa mère qui court la France pour organiser ses casting de Miss et son père, artiste contemporain qui multiplie les conquêtes, elle se retrouve souvent seule à la maison. Heureusement elle est bien entourée  par ses amis, la plantureuse Fran et son frère, le beau et très populaire Iago, qui est aussi l'amoureux de Willa. Un soir, alors que Fran organise sa fête d’anniversaire, Willa fait la connaissance de Edern Fils-Alberne, un garçon plutôt bizarre et réservé. Elle sympathise avec lui et découvre par la même occasion une famille attachante mais très marquée par la mort tragique des deux parents.
  
Sa curiosité augmente quand Marni, la petite soeur de Edern, lui révèle un mystère qui plane sur leur sombre et étrange demeure : chaque soir à onze heures, heure à laquelle leur mère s'est donné la mort, la pendule du salon s’arrête et Marni sent comme une présence froide dans sa chambre. De plus, depuis qu’elle a fait connaissance avec Edern, la vie de Willa est menacée à plusieurs reprises par un homme qui semble lui en vouloir…
         
Mêlant habilement plusieurs genres littéraires : le thriller, le fantastique et le sentimental, Malika Ferdjoukh fait encore mouche avec ce roman tout fraîchement relooké et dont la couverture s'inspire de l'adaptation en bande-dessinée de Chaque soir à onze heures (chroniquée ici)! Comme toujours dans ses romans, Malika Ferdjoukh parvient à créer des personnages forts et dotés d'une vraie présence. Il n'y a d'ailleurs pas que les personnages qui ont de la présence! Les lieux, notamment la vieille demeure bourgeoise de la famille Fils-Alberne en plein cœur de Paris, est tout autant chaleureuse qu'angoissante.  Cette atmosphère, digne des romans noirs, est aussi appuyée par l'ambiance hivernal mise en place par l'auteur. A la lecture de se livre on frissonne  tout autant de froid que de plaisir et de peur! Mené de main de maître avec un style toujours classe et impeccable, ce roman riche en rebondissements et en émotions est à dévorer  bien au chaud sous sa couette et avec une bonne tasse de chocolat

Chaque soir à onze heures, Malika Ferdjoukh, Flammarion, 2016

mercredi 16 novembre 2016

"Harry Potter et l'enfant maudit", J.K. Rowling, John Tiffany et Jack Thorne

Le voici enfin, le fameux "tome 8" d'Harry Potter ! Comme toute bonne fan du petit sorcier, je me suis jetée dans la lecture de ce dernier tome dès que je l'ai eu entre les mains. Et bien sûr, je n'en ai fait qu'une bouchée! Pourtant, je suis tout de même un peu mitigée sur cette suite destinée au théâtre et publiée par la suite.

Nous voici donc 19 ans après la fameuse bataille de Poudlard qui a signé la fin de Voldemort. Souvenez-vous, à la fin du tome 7, Harry, Hermione et Ron accompagnent leurs enfants respectifs au train qui va les conduire à l'école des sorciers. Le fils d'Harry, Albus Severus est terrifié à l'idée de se retrouver chez les Serpentards et de ne pas être à la hauteur de son père, et c'est là que commence le tome 8. Une fois dans le train, Albus Severus fait la connaissance d'un jeune garçon de son âge, seul lui aussi de par les rumeurs qui courent sur son compte. Tous deux vont se retrouver chez les Serpentards et vont vite devenir inséparables. Malheureusement, une ombre plane sur eux et sur leur monde.
         
Certes l'intrigue est prenante et (sans en dire d'avantage pour ne pas spoiler!), l'idée de départ est intéressante; certes on retrouve nos personnages préférés avec joie, mais on est quand même loin de la richesse de l'univers et de l'écriture de la série de J. K. Rowling (même si cette dernière a participé à l'écriture de L'Enfant maudit). Peut-être m'attendais-je trop à ressentir tout le bonheur que j'ai eu à l'époque lorsque je me plongeais à corps perdu dans chaque nouveau tome jusqu'au petit matin! Ou peut-être que c'est à cause de la forme que prend ce dernier tome. La pièce de théâtre doit sûrement être fantastique jouée et mise en scène. Les changements de décors et les effets de magie doivent être impressionnants à voir en "vrai" et l'ensemble est très rythmé.  Hélas, la lecture seule, est assez décevante. J'ai eu l'impression de lire une fan fiction, et j'ai aussi trouvé que certains passages étaient un petit peu tirés par les cheveux.
               
Bref, selon moi, il s'agit plutôt d'un tome à part que d'une suite. A lire donc si vous voulez passer un bon moment de lecture détente, mais à éviter si vous souhaitiez retrouver l'univers de J.K. Rowling et lire une "vraie" suite de Harry Potter. Mais c'est juste mon avis!

Harry Potter et l'enfant maudit, J.K. Rowling, John Tiffany, Jack Thorn, Gallimard, 2016

samedi 22 octobre 2016

"Agatha" de Françoise Dargent

Tout le monde connaît Agatha Christie ! Mais que sait-on sur l'adolescente qu'elle était? Avec son roman Agatha, Françoise Dargent, grande admiratrice de la mère d'Hercule Poirot, nous livre quelques pans de son histoire! 

Agatha Miller vit seule avec sa mère depuis la mort de son père et le départ de son frère et de sa sœur, devenus adultes. Dans leur grande maison bourgeoise, seule trace de leur splendeur passée, Agatha s'ennuie un peu. Elle lit beaucoup pour passer le temps et s'évader mais elle manque souvent de compagnie. Secrètement, elle aspire à davantage de liberté et surtout à devenir chanteuse d'Opéra. Mais, quand on est une femme dans cette Angleterre édouardienne, difficile de décider seule de son avenir.
             
Sa mère, pourtant très affectueuse, est aussi très vigilante aux qu'en dira-t'on et à la bienséance, la bride quelque peu dans ses velléités. Elle va tout de même décider de partir à Paris avec Agatha pour la mettre dans une pension de jeunes filles afin qu'elle apprenne le français et la musique, tout comme sa sœur avant elle, et comme toute bonne famille se doit de faire à l'époque! A partir de là, de nouveaux horizons commencent à s'ouvrir pour la jeune fille, qui s'émancipe peu à peu. 
      
Cette biographie très romancée est un petit régal. On plonge dans l'Angleterre et le Paris de la Belle Epoque avec ravissement, et on découvre aussi la personnalité affirmée d'Agatha dans cette "bonne" société où il n'était pas simple d'être une femme. Par ailleurs, l'auteure égraine ici et là, quelques références aux futurs romans d'Agatha Christie et s'amuse à les distiller sur son passage! La lecture est plaisante et l'ensemble si bien documenté qu'on n'a qu'une envie après l'avoir terminé, replonger dans un bon roman d'Agatha Christie!

Agatha, Françoise Dargent, Hachette, 2016

vendredi 7 octobre 2016

"Et mes yeux se sont fermés" de Patrick Bard

Maëlle a 16 ans, elle est lycéenne au Mans. Elle vit avec sa mère et sa petite sœur, Jeanne. Avec un caractère fort et un grand désir de justice, personne ne pouvait présager qu'un jour elle se ferait embrigadée par Daesh. Comment une adolescente ordinaire peut-elle se retrouver mêlée à un combat qui se déroule à des milliers de kilomètres de chez elle? Comment quelqu'un d'équilibré et d'instruit peut-il sombrer dans l'obscurantisme et la violence, perdre tout sens critique, et se couper ainsi de la réalité? C'est ce que tente d'expliquer ce roman de Patrick Bard.

Je me méfie un peu des romans qui ont pour thème l'actualité brûlante peut-être à cause du manque de distance. Il n'en est rien pour ce roman. Et mes yeux se sont fermés traite certes d'un sujet brûlant mais sa forme, succession de témoignages de différentes personnes qui ont côtoyé Maëlle, permet cette mise à distance nécessaire évitant ainsi de sombrer dans le morbide.
 
Le roman commence par le témoignage de Maëlle, ou Ayat, puisqu'elle se nomme désormais ainsi. Elle raconte les raisons et les conséquences de son retour en France après son voyage en Syrie. Suivent les témoignages, de sa mère, de sa sœur, de ses amis ... sur la transformation de Maëlle. On voit ainsi le cheminement, le lavage de cerveau subit par la jeune fille, jusqu'à ce jour où elle se rend compte qu'elle s'est fait manipulée. Très vite, on a envie de comprendre et on se laisse emporter par son histoire. On sent le désespoir, la honte surtout de ses proches qui n'ont pas voulu voir, qui n'ont pas voulu ouvrir les yeux sur l'aveuglement de Maëlle/Ayat. Car se sont certes les yeux de celle-ci qui se sont fermés, mais se sont aussi ceux de son entourage. Heureusement Maëlle a la chance d'être entourée et aimée, et c'est ce qui la sauvera.

Même s'il est vrai que je ne suis pas parvenue à comprendre et à m'attacher au personnage de Maëlle, je suis ressortie de ce livre un peu plus informée mais aussi, malheureusement, un peu plus préoccupée quant à l'avenir. Avec son roman, pour lequel l'auteur s'est beaucoup documenté, Patrick Bard nous montre que cela peut concerner n'importe quel ado, qu'il ou elle soit de confession musulmane ou non. Il nous montre aussi que le seul moyen de lutter, à notre niveau, s'est en en parlant, en informant les jeunes surtout, sur les moyens mis en œuvre par les islamistes radicaux pour recruter.

Et mes yeux se sont fermés rappel un peu le roman de Dounia Bouzar, Ma meilleure amie s'est fait embrigadée, autre lecture a conseiller, sur le même sujet. 

"Ces ados ont déjà, à l'origine, une vision du monde plutôt sombre. Les types qui traînent sur le web à longueur de journée à la recherche d'une proie ferment une par une toutes les portes, une fois le gibier circonscrit. Toutes les portes, sauf une seul, le Shâm après la conversion à l'islam. Ils forgent en eux l'illusion d'un monde totalement hostile, entièrement livré aux forces du Mal. Ils renforcent l'auto-estime des jeunes en leur laissant penser qu'ils ont été choisis."

Et mes yeux se sont fermés, Patrick Bard, Syros, 2016 (208 pages)

mercredi 28 septembre 2016

"Songe à la douceur" de Clémentine Beauvais

Ce livre a fait l'unanimité à la rentrée : éblouissant, passionnant, fantastique, génial... et autres synonymes ! Alors du coup, quand il est sorti, je me suis précipitée pour l'acheter, finir le livre que j'étais en train de lire (pour info, il s'agissait du formidable Intérieur nuit de Marisha Pessl, merci Elodie du blog A chacun sa vérité pour ce conseil lecture!!), et commencer cette nouvelle pépite de Clémentine Beauvais!

J'avais déjà eu un énorme coup de cœur pour son roman les Petites Reines, que j'avais chroniqué l'année dernière, c'est donc en toute confiance que j'ai commencé la lecture de Songe à la douceur! Et bien sûr, je n 'ai pas du tout été déçue! 

Inspiré du roman en prose de Pouchkine, Eugène Onéguine, Songe à la douceur, raconte l'histoire de deux adolescents, Tatiana, 14 ans et Eugène, 17 ans. La sœur de Tatiana, Olga, sort avec Lensky, le meilleur ami d'Eugène chez qui Eugène vient passer l'été. Comme il n'y a rien d'autre à faire, Eugène accompagne son ami chez Olga où il rencontre Tatiana. Pendant que les deux tourtereaux sont à l'étage, Tatiana et Eugène discutent dans le jardin, histoire de passer le temps. Très vite, Tatiana tombe amoureuse d'Eugène et lui avoue son amour. Celui-ci est jeune, imbu de lui-même et croit tout savoir de l'amour et de la vie. Il la rejette, puis un drame les sépare définitivement. Dix ans après, ils se croisent à nouveau, cette fois à Paris dans le métro. Pour l'un, comme pour l'autre, c'est un vrai chamboulement, car le temps a passé et celui des certitudes de l'adolescence aussi. 

Cette histoire d'amour semble d'abord assez classique, mais Clémentine Beauvais n'a pas peur de la difficulté, et ce qui rend ce roman si particulier, si fort et si intéressant, c'est (entre autres) la manière dont il est écrit : en vers libres ! La plume de Clémentine Beauvais fait de nouveau mouche, chaque ligne est magnifique, et invite à la lecture à voix haute. Si les rimes peuvent perturber la lecture au début (car il faut bien le reconnaître, c'est assez inhabituel de lire des romans en vers), on se laisse vite emporter par le rythme et la musicalité de chaque page, par les images fortes ainsi que par les jeux typographiques qui se dessinent sous la plume de l'auteure

Outre cette dimension profondément poétique, ce roman d'amour est aussi une réussite car il parvient à nous faire vivre une épopée sentimentale en moins de 300 pages: amitié, doutes, dilemmes, regrets, désir, trahison... Toutes les étapes de l'amour et de la passion sont écrites avec tellement de justesse dans toutes leurs complexités, que très souvent je pensais "Mais oui! C'est exactement ça!". Il y a dans cette histoire, et surtout dans les phrases de Clémentine Beauvais, de l'universalité. Tout le monde y entendra résonner une part de sa propre histoire. C'est beau, puissant, vraiment drôle parfois, et aussi terriblement addictif! Merci Clémentine Beauvais pour cet (encore une fois) excellent moment de lecture!


Songe à la douceur, Clémentine Beauvais, Sarbacane, "Exprim'", 2016

samedi 3 septembre 2016

"Quelqu'un qu'on aime" de Séverine Vidal

Lorsque Dixie annonce à Matt, son ex qu'elle n'a pas revu depuis des mois, qu'il est le père de la petite Amber âgée de dix-huit mois et qu'elle a besoin de son aide pour la garder le temps de quelques semaines, celui-ci est un peu pris au dépourvu (il y a de quoi!) En effet, il a déjà prévu de faire un long voyage avec son grand-père, Gary, atteint de la maladie d'Alzheimer, dans l'Ouest des Etats-Unis. Le but de ce voyage : partir à la recherche de ses souvenirs de jeunesse alors qu'il parcourait les routes à la suite de son idole de toujours, le chanteur Pat Boone. C'est leur voyage des "souvenirs vivants". Pourtant, après mûre réflexion, Matt ne le sait pas encore mais il va prendre la meilleure décision de sa vie : faire tout de même le voyage mais avec Amber dans leur bagages!
     
Et comme la vie est pleine de surprises et d'imprévus, Matt, Gary et Amber se retrouvent, grâce à une tempête de neige, en compagnie de deux âmes égarées : Antonia, une jeune femme qui cherche à changer de vie, et Luke, un adolescent qui a fuit son domicile pour d'obscures raisons. Toute cette équipe va donc devoir cohabiter pendant ce road trip qui s'annonce, pour le moins, épique! 
           
Séverine Vidal, signe avec Quelqu'un qu'on aime un roman optimiste et bouleversant! Avec un style tout à fait fluide, elle nous fait voyager sur les mythiques routes américaines en compagnie de personnages drôles, attachants et qu'on souhaiterait avoir pour amis. Le sujet est grave pourtant. La maladie de Gary, conscient de son aggravation, les notes qu'il écrit pour se souvenir, ses moments de joie presque "normaux" où la maladie semble loin, et ses moments sombres où il perd pied et se met en colère... tout cela est écrit avec une vraie justesse, touchante et sans aucune lourdeur grâce à la plume légère et habile de Séverine Vidal. Car c'est un livre qui parle avec douceur de ceux qu'on aime, des amis, des amours, de la famille, de ceux qu'on a perdu mais aussi de ceux que l'on rencontre sur la route. Une belle métaphore de la vie en somme. Celle-ci peut s'avérer décevante, autant qu'éblouissante, douloureuse un jour, et plus douce un autre jour, comme le voyage que font tous ces personnages, à la recherche du temps perdu de Gary. C'est beau, émouvant, ce livre donne envie d'aimer et surtout de dire à ceux qu'on aime qu'ils sont précieux à nos yeux. A ne pas manquer, quelque soit l'âge qu'on a!

"Il y repensera en regardant cette photo, qu'il gardera toujours, pliée en deux, dans son portefeuille. Il y repensera quand il aura l'impression bizarre que ce moment n'est jamais arrivé. C'est le présent qui est fragile ; il disparaît, il n'existe pas. […] Il voudrait garder ce moment, le retenir. Mais il ne peut pas, le présent file et c'est comme ça, alors Luke serre la main de Gary, falaise fragile qui attend, en retenant son souffle, le prochain tremblement de terre

Quelqu'un qu'on aime, Séverine Vidal, Sarbacane, "Exprim'", 2015

samedi 20 août 2016

"L'été Diabolik", de Smolderen et Clérisse

Avec un titre et une couverture pareils, je ne pouvais pas passer à côté de cette formidable nouvelle BD de Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse! Dans L'Eté Diabolik nous voici propulsés durent l'été 1967, aux côtés d'Antoine, 15 ans. Celui-ci s'apprête à passer ses vacances chez lui, avec son père, pourtant, comme cela est annoncé dès le début de l'histoire, rien ne va se passer comme prévu, et une simple rencontre due au hasard, va bouleverser l'existence d'Antoine.

Tout commence lors de la finale d'un match de tennis qui l'oppose à un garçon prénommé Erik et dont il va sortir vainqueur, Antoine assiste stupéfait à la rage insensée du père de ce dernier contre son propre père. Antoine oublie l'incident, jusqu'au soir, où, alors qu'ils rentrent chez eux en voiture après un restaurant,  l'homme fasse de nouveau apparition au volant d'une camionnette et se mette volontairement en travers de la route. Le père d'Antoine, avec un remarquable sang froid, parvient à semer le fauteur de troubles. Mais le lendemain, tous deux apprennent dans le journal, que la camionnette a été retrouvée dans un ravin avec le corps de l'homme à l'intérieur. Entre temps, ils ont fait la rencontre de Mr de Noé, ancienne connaissance du père d'Antoine, et de Joan, une jeune américaine sulfureuse vivant dans la riche villa de Mr de Noé. Sans qu'il s'en rende compte, Antoine a sous les yeux toutes les pièces du puzzle conduisant à la mystérieuse disparition de son père, dans des circonstances surprenantes. 


L'histoire est construite en deux parties. La première, constitue la mise en place du mystère autour du père d'Antoine, mystère qui s'épaissit à mesure que défilent les cases. La seconde partie, qui se déroule 20 ans plus tard, va petit à petit nous éclairer sur les évènements de l'été 67...

Vraiment étonnante, cette bande-dessinée jongle entre plusieurs genre narratifs : l'histoire d'Antoine et de ses émois d'adolescent, nous rapproche du roman d'apprentissage, tandis que celle du père, de l'espionnage. Par ailleurs, le scénariste aborde avec adresse plusieurs époques: de la fin de la seconde guerre mondiale, aux années 80, en passant par la guerre froid! Ce scénario complexe, si bien mené qu'on se demande si l'histoire n'est pas tirée d'un fait réel, tient en haleine du début à la fin! Très bien référencé et illustré avec brio par Alexandre Clérisse, qui s'est attaché à retranscrire l'esthétique et l'ambiance de l'époque par l’utilisation de couleurs très pop et de motifs psychédéliques, cet album est un vrai régale pour les yeux. Un coup de maître(s), à lire absolument pour terminer l'été en beauté!




 
PS: Si vous voulez en savoir plus, sur la réalisation de la BD, ses origines, et ses influences, Smolderen nous explique tout à la fin de l'album! Pour ceux qui, comme moi, n'ont pas connu la BD italienne Diabolik, cette série entre espionnage et érotisme qui circulait sous le manteau dans les années 60, ces quelques pages de documentations sont très intéressantes!

L'Eté Diabolik, Thierry Smolderen et Alexandre Clérisse, Dargaud, 2016

mardi 19 juillet 2016

"L'Homme qui tua Lucky Luke" de Matthieu Bonhomme



Cela faisait un bon bout de temps que je n'avais pas mis le nez dans un Lucky Luke. Pourtant, entre un Astérix et un Yakari, j'ai passé de très bons moments avec lui (hum, un peu étrange cette phrase...). Mais heureusement, Matthieu Bonhomme est arrivé, et grâce à lui je dois dire que mes retrouvailles avec Luke ont été un grand bonheur!
  
Dans ce tout nouvel album, Matthieu Bonhomme revient aux sources du western, et nous offre un portrait profond et plus humain du plus célèbre cowboy d'Europe de l'ouest ! Le début de la bande-dessinée est un choc, puisqu'on voit Luke à terre, abattu d'une balle dans le dos! Comme pour tous les grands héros, on se dit, bien sûr, que c'est une erreur, une entourloupe, un sale tour! La suite de l'histoire est un flash back pour expliquer comment le bien nommé Lucky Luke en est arrivé là... 
         
Tout commence dans la petite bourgade de Froggy town, par une nuit d'orage (ambiance...), Lucky Luke vient y faire une halte mais sa venue ne passe pas inaperçue. Les quelques hommes qu'il croise se retournent tous sur son passage et très vite les ennuis arrivent. Lors d'une petite altercation avec les frères Bone, dont l'un est shérif, Luke fait la connaissance de Doc Wednesday, vieux loup solitaire ravagé par l'alcool. Rencontre heureuse puisque celui-ci va se porter volontaire pour aider Luke lorsque les citoyens de Froggy town lui demandent de mener l'enquête sur le vol de la diligence qui contenait les quelques pépites d'or des pauvres mineurs de la petite ville.
             
Grâce à un scénario, classique mais efficace, nous voici donc plongés au cœur du bon vieux Far West, celui de John Ford (clin d’œil à L'Homme qui tua Liberty Valence), de Sergio Leone ou de Clint Eastwood ! Dans cet album truffé de références au genre, Matthieu Bonhomme n'oublie pas non plus ce qui a fait le sel du cowboy de Morris : la phrase courte (Ouep!), l'apparente indolence et le flegme légendaire de Lucky Luke sont plus que jamais mis en avant! L'auteur reste donc fidèle à Morris, tout en redonnant une petite touche de modernité à son Luke, relooké pour l'occasion, ainsi qu'en nous présentant aussi ses failles. Même si la magnifique couverture tranche avec le reste de la série, la mise en couleur, très réussie suit le style des autres albums, surtout les premiers. L'humour est certes moins présent que dans les versions précédentes, mais les personnages, d'habitude très caricaturés, sont ainsi plus contrastés. Matthieu Bonhomme nous fourni même une explication sur ce qui a poussé Luke à troquer la cigarette contre le brin d'herbe! 
           
Bref, vous l'aurez compris, cette BD est l’œuvre d'un grand nostalgique, qui aime jouer avec ses lecteurs, les petits mais surtout les grands! Oui, L'Homme qui tua Lucky Luke m'a un peu fait l'effet de la petite madeleine de Proust, trempée dans le tilleul!

L'Homme qui tua Lucky Luke, Matthieu Bonhomme, Dupuis, 2016

samedi 9 juillet 2016

"Le Garçon au sommet de la montagne" de John Boyne

Paris, 1936. Pierrot, jeune franco-allemand, vit entouré de ses deux parents, de son chien d'Artagnan et de son ami Anshel, un petit garçon juif et muet. Si les jours qu'il coule ne sont pas toujours paisibles en raison du caractère violent de son père, traumatisé par la dernière guerre, Pierrot aime sa vie et surtout les moments qu'il passe avec son meilleur ami à inventer des histoires, lire et communiquer dans leur langue secrète. Mais un jour, un drame éclate entre ses parents et son père meurt brutalement quelque temps plus tard. Trois ans après, c'est sa mère qui succombe à la tuberculose. Pierrot est désormais seul et envoyé dans un orphelinat près d'Orléans. Son séjour y sera cependant de courte durée car sa tante Beatrix, qu'il n'a jamais vue, le réclame auprès d'elle. Beatrix est gouvernante dans une demeure située au sommet d'une montagne dans les Alpes bavaroises, le Berghof, qui n'est autre que la résidence secondaire d'Adolf Hitler. A son contacte, Pierrot, rebaptisé Pieter, va radicalement changer. Ce petit garçon de 7 ans, timide et intelligent, va devenir, au fil du temps, un petit nazi fier de lui-même, prétentieux, assoiffé de pouvoir et littéralement fasciné par Hitler. 

En à peine 300 pages (en plus c'est écrit gros!), John Boyne, dans la lignée du Garçon au pyjama rayé, nous plonge au cœur des ténèbres et parvient à dresser un tableau de l'époque avec un synthétisme exemplaire. De la montée de l'antisémitisme à l'aube de la seconde guerre, l'auteur nous décrit le cheminement douloureux de Pierrot, qui doit renoncer à sa vie d'avant, à son ami de toujours sous prétexte qu'il est juif, et même à son prénom, pas assez "allemand". Dans ce roman où tout sonne juste, on assiste ensuite impuissant à l'endoctrinement de ce petit garçon si attachant, seul et en mal d'amour. Manipulé comme un pantin par le führer, Pierrot/Pieter se transforme, petit à petit, en tyran aux idées étroites, jusqu'à commettre l'irréparable. Très prenant, le roman pose aussi plusieurs questions : comment un être gentil et innocent peut-il se transformer en monstre sans états d'âme? Comment et pourquoi décide-t-on de fermer les yeux sur des crimes effroyables? Peut-on se racheter de ses crimes? Bien sûr, l'auteur ne prétend pas y apporter de réponses mais la fin du roman, peut-être un peu expéditive (mais c'est un roman pour les enfants, n'oublions pas), apporte une note d'espoir dans toute cette noirceur. Un texte fort et percutant, qui parle aussi de résilience et de pardon.

"Ne fais jamais semblant de ne pas savoir ce qui se passait au Berghof. Tu as des yeux et des oreilles. Et, plus d’une fois, tu t’es trouvé dans ce bureau à prendre des notes. Tu as tout entendu. Tu as tout vu. Tu savais tout. Comme tu sais ce dont tu es responsable. […] Les morts que tu as sur la conscience. Tu es encore jeune, tu n’as que seize ans. Tu as la vie devant toi pour assumer ta complicité dans ces affaires. Ne dis jamais que tu ne savais pas. Ce serait le pire de tous les crimes.

Le Garçon au sommet de la montagne, John Boyne, Gallimard jeunesse, 2016

mardi 5 juillet 2016

"Le grand n'importe quoi", de J.M. Erre

J'ai découvert J.M. Erre avec Prenez soin du chien, son premier roman, un concentré hilarant de loufoqueries comme je n'en avais jamais lu auparavant! Depuis, tous les deux ans (fréquence de parution de ses romans), j'ai rendez-vous avec lui! Cette fois je ne parlerai donc pas de littérature jeunesse mais du Grand n'importe quoi, le dernier livre de J. M. Erre!

Avec un titre pareil, ce livre ne pouvait être que du pur délire, et c'est bien le cas! L'histoire se déroule en 2042, le 7 juin à 20h42 pour être plus précis, dans le village de Gourdiflot-le-Bombé. Alain Delon, membre actif des homonymes anonymes et passionné d'extra-terrestres, est sur le point d'en finir avec la vie lorsqu'il voit atterrir une soucoupe volante dans son jardin. Au même moment, non loin de là, Arthur, réfugié monégasque depuis que le Mollah Albert fait régner la terreur sur le rocher devenu un état islamique, et sa compagne Framboise s’apprêtent à se rendre à la soirée costumée d'un culturiste, tandis que Lucas, un écrivain de SF raté, reçoit la visite d'une Maryline Monroe alcoolisée, et J-Bob et Francis, piliers de bar accoudés au comptoir discutent physique quantique et métaphysique... (cette phrase est un peu longue, désolée!) Tous ces personnages, et bien d'autres encore, vont ainsi se croiser au fil des pages et vivre des aventures hors du commun, (voire totalement grotesques comme nous l'indique l'auteur lui-même!), tout en restant à Gourdiflot-le-Bombé et à 20h42...

J. M. Erre joue avec les codes de la science-fiction, on pense en particulier à la Soupe aux choux de René Fallet et au guide du voyageur galactique de Douglas Adams, et signe un roman totalement décalé et déjanté où personnages caricaturaux et situations rocambolesques se mêlent à des références plus philosophiques, littéraires et cinématographiques. L'auteur ne lésine pas sur les digressions, les jeux de mots et les figures de style; chaque phrase est un plaisir pour les zygomatiques. Non seulement c'est drôle mais l'auteur nous livre aussi, en filigranes et toujours au second degré, une belle critique des dérives de notre société : politiques, économistes, journalistes en prennent pour leur grade! Mais Le grand n'importe quoi c'est aussi un hommage rendu à la littérature et une réflexion sur l'écriture et la création. Rien de trop sérieux rassurez-vous, ce serait mal connaître l'auteur et son goût de l'auto-dérision, mais c'est tout de même pas n'importe quoi!

Juste pour le plaisir, un petit extrait !
A ses côtés se tenait Qzywkkvyz, son fidèle pilote, dont le patronyme aux sonorités chantantes aurait mérité l’invention d’un Scrabble zlotonois (du Sud). Ensemble, ils avaient parcouru l'espace infini d'un bout à l'autre, car ils se riaient des paradoxes. Ensemble, ils avaient dépassé maintes fois la vitesse de la lumière, car ils se gaussaient des théories relativistes de physiciens allemands hirsutes. Ensemble, ils s'étaient beaucoup tripotés, car derrière les uniformes sévères de militaires aguerris battaient deux cœurs sensibles de pieuvres de l'espace. Le capitaine Jean-SCRT@wysqdto&ké posa sur Qzywkkvyz ses huits yeux humides d'affection virile et lui demanda de passer la cinquième sur ce ton martial qui faisait durcir les tentacules de tous les octopodes à frange tubulaire de la constellation d'Orion aux étoiles d'Andromède

Le grand n'importe quoi, J. M. Erre, Buchet-chastel, 2016

mardi 31 mai 2016

"Audrey retrouvée", de Sophie Kinsella

Avec Audrey retrouvée, Sophie Kinsella, célèbre auteure de "chick-lit" qui met habituellement en scène des jeunes femmes (vous connaissez sûrement le série de "l'Accro du shopping"), s'attache cette fois à la vie d'une adolescente de 14 ans, Audrey, qui souffre de crises d'angoisse aiguës. Dès qu'elle est en présence d'inconnus ou dès qu'elle croise le regard d'autres personnes, y comprit ceux de sa propre famille, elle est prise d'une panique incontrôlable. En raison de ces troubles importants, Audrey ne peut plus se rendre en classe, elle se terre chez elle et porte en permanence des lunettes de soleil. Pour guérir, elle voit régulièrement une psy, le Dr Sarah, qui lui demande de relever un petit défi : filmer les gens autour d'elle pour voir la vie autrement. Grâce à ce premier défi, filmer sa vie de famille, Audrey commence peu à peu à sortir de sa coquille et, au fil des pages, on apprend que les crises d'Audrey sont dues à un harcèlement qu'elle a subit au collège par d'anciennes camarades de classes.

Ce livre aurait pu être plombant vu les sujets qu'il aborde mais il n'en est rien! Audrey raconte tout cela sur le mode de l’autodérision et c'est franchement drôle par moment. Le récit dynamique alterne entre une narration classique et les retranscriptions des reportages d'Audrey. De plus, le roman ne s'attache pas qu'à la vie de l'adolescente. Il met aussi en scène celle de ses proches, notamment son frère, Franck, gamer invétéré totalement accro, qui devient le cheval de bataille de leur mère Anne, un personnage aussi haut en couleur, qui s'est donné pour mission de le "désintoxiquer" ! J'ai vraiment bien accroché avec ce livre, très facile d'accès, qui alterne entre moments de gravité et  moments plus légers. Il y a aussi  des passages tout à fait charmants entre Audrey et Linus, le meilleur ami de Franck. Celui-ci, s'éprend de la jeune fille malgré tout et va tout mettre en œuvre pour l'approcher et pour la guérir. L'amour peut, en effet, faire des miracles! Avec ce roman, Sophie Kinsella nous offre une bonne lecture rafraîchissante et optimiste, un vrai moment de détente! 

Audrey retrouvée, Sophie Kinsella, Pocket jeunesse, 2016

mardi 26 avril 2016

"Les Spectaculaires tome 1 : Le Cabaret des ombres", de Régis Hautière et Arnaud Poitevin


Voici une BD au charme suranné qui ravira les fanas de Sherlock Holmes et de l’Inspecteur Gadget le tout dans un majestueux décor parisien. 
L'histoire se passe en 1909, à l'heure où commence à se développer le cinéma au détriment des théâtres et autres cabarets. Dommage, car au Cabaret des ombres, malgré une salle quasiment vide, se joue un spectacle impressionnant : un homme bondit dans un cercle enflammé, pour atterrir plusieurs mètres plus haut sur un socle tenu par un doigt par un homme à la force herculéenne.
Impressionné par le spectacle, un certain Prosper Pipolet, "inventeur innovateur", se précipite pour aller saluer les prodiges à la fin du spectacle et leur demander leur aide. Il vient, en effet, de se faire voler sa nouvelle invention, une arme top-secrète et très dangereuse, maintenant entre les mains de l'infâme Stingler qui veut détruire le monde avec!
Plus par besoin d'argent que par conviction, la bande des quatre Spectaculaires est contrainte d'aider l'inventeur fou. Problème : même s'ils sont les rois de l'illusion, leur dextérité dans le domaine du vol, de la filature ou du combat, est clairement à revoir! 
Avec Le Cabaret des ombres, le duo de choc Hautière et Poitevin fait des merveilles! Enchaînant les gaffes, ces personnages savoureux et attachants doivent surtout la résolution de leur enquête à leur bonne étoile! Avec des gags et des péripéties à chaque page et des dialogues déjantés, on ne s'ennuie pas un seul instant! Le rythme effréné de cette BD, où se croise la petite et la grande histoire, nous fait vivre un pur moment de détente. Un album à mettre en toutes les mains!

Les Spectaculaires tome 1 : Le Cabaret des ombres, Régis Hautière, Arnaud Poitevin, Rue de Sèvres, 2016

samedi 16 avril 2016

"Le Domaine", de Jo Witek

Gabriel, 16 ans, accompagne sa mère Florine, embauchée comme aide-cuisinière pour l'été, chez le comte et la comtesse de La Guillardière. La demeure, entourée de marais et de landes, est un endroit inespéré pour Gabriel. Passionné d’ornithologie et amoureux de la nature, il pourra en effet observer les oiseaux à sa guise. Pourtant, dès qu'il franchit les portes du domaine, un profond malaise s'empare de lui. Il ne se sent pas à sa place dans cette famille bourgeoise très attachée aux traditions et tout s'emballe dès lors que les petits enfants, quatre cousins et cousines de son âge, arrivent. Brillants et sûrs d'eux, ils prennent tout de suite Gabriel de haut et le considèrent comme un original, un peu sauvage. Surtout, il y a la belle Éléonore qui retourne la tête de Gabriel dès qu'il la voit. Lui qui, jusque là, passait ses journées à observer les oiseaux perd subitement tout intérêt pour l'ornithologie et se comporte de plus en plus étrangement. Ce n'est plus les oiseaux qu'il observe mais les gens du domaine qu'il épie et, en particulier, Eléonore.
                
Pour son nouveau roman dans la collection "Thriller" de chez Acte sud junior, Jo Witek a souhaité revenir aux sources du genre en s'inspirant des romans gothiques anglais de Anne Radcliffe et du romantisme d'Emily Bronté. Le personnage de Gabriel, sensible, romantique et passionnée est un archétype du genre très attachant et l'auteure prend son temps afin que nous puissions faire connaissance avec lui. Sans qu'il y ait besoin de beaucoup d'actions, Jo Witek parvient à accrocher son lecteur grâce à ce personnage et à l'ambiance qui se dégage du roman. Des landes isolées et inquiétantes, un personnage principal tourmenté par des rêves morbides et des pulsions qu'il ignorait pouvoir ressentir jusque là, et des personnages secondaires qui semblent tous avoir quelque chose à cacher, tout se met en place progressivement afin de faire monter l'angoisse. C'est vraiment à la fin du récit que Le Domaine se transforme en thriller. Surprenant, le dénouement nous montre comment un adolescent équilibré peut perdre la raison par amour d'autant plus lorsqu'il s'agit d'un premier amour et qu'il est à sens unique!
            
Avec une écriture toujours travaillée, Jo Witek réussit encore une fois à transporter son lecteur hors du temps!

Le Domaine, Jo Witek, Acte sud Junior, "Thriller", 2016

jeudi 24 mars 2016

"La fille quelques heures avant l'impact", de Hubert Ben Kemoun

Le roman s'ouvre de manière abrupte sur les pensées d'Annabelle qui semble être sur le point de mourir, brûlée vive. La suite du roman raconte, selon plusieurs points de vue (celui d'une enseignante exaspérée, celui d'Annabelle et celui d'un jeune homme victime d'une agression) comment ils en sont tous arrivés là,  quelques heures avant l'impact.

Par un après-midi chaud et ensoleillé, juste avant un long week-end de Pentecôte, une classe étudie Le Diable au corps de Radiguet. Plus ou moins endormis, les élèves écoutent la prof de français d'une oreille distraite. Seules les vannes que s'envoient Mokhtar et Fabien, à travers la classe, semblent les réveiller. Plutôt inoffensives au début, elles deviennent de plus en plus venimeuses et l'ambiance de plus en plus lourde et électrique. Leur professeure à bout de patience, les fait sortir du cours. Personne ne souhaite en rester là. Les élèves se révoltent contre les fauteurs de trouble et en particulier contre Fabien et ses remarques racistes et xénophobes. Tous commencent à sentir la colère monter, tous ont hâte d'en finir avec cette journée et attendent avec impatience le concert de ce soir où se produit d'anciens camarades de collège (Voir La Fille seule dans le vestiaire des garçons du même auteur). Mais entre les peines de cœur des uns et la haine que d'autres portent en eux, la journée est loin d'être terminée.

Avec ce titre accrocheur et intrigant, le dernier roman d'Hubert Ben Kemoun promet un suspens haletant. Et c'est réussi! Dès les premières pages on est happés par le récit et on n'a qu'une envie, savoir comment tout cela va se terminer! L'écriture ciselée et les répliques cinglantes de certains personnages accompagnent l'action et dynamise le réalisme du récit. En très peu de pages, l'auteur dresse un portrait juste et touchant d'adolescents en mal d'amour ou de reconnaissance, aux personnalités diverses mais qui aspirent tous au bonheur. Beaucoup d'émotions, donc, pour ce court roman qui parle de notre société actuelle, de sa violence, mais aussi des moments de grâce qui se produisent parfois, même lorsque tout semble perdu. 

Un moment de lecture fort et accessible à mettre entre les mains de tous les adolescents.

La fille quelques heures avant l'impact, Hubert Ben Kemoun, Flammarion jeunesse, 2016 

samedi 19 mars 2016

"Une Braise sous la cendre", de Sabaa Tahir

Vous aimeriez bien lire une dystopie mais vous hésitez aussi entre un livre de fantasy avec des combats de gladiateurs, des épreuves à traverser, et des êtres surnaturels, ne cherchez plus! Une Braise sous la cendre vous attend!
    
L'histoire se déroule dans un monde peu hospitalier qui a sombré dans l'obscurantisme. Désormais divisé en deux, avec d'un côté l'Empire et son armée de combattants surentraînés et conditionnés, les Martials, et de l'autre, les Erudits, héritiers d'un immense savoir, le monde vit dans la peur et la violence. Tout Erudit surpris en train de lire, dessiner ou écrire est emprisonné voire torturé par les Martials. Peu à peu, les Erudits, qui gouvernaient autrefois le monde, ont oublié leurs connaissances et leur histoire. Mais la résistance s'organise...
     
Dans ce premier tome, nous suivons les deux personnages principaux, Laia et Elias qui, tour à tour, à la première personne, nous racontent leurs histoires. Tout les oppose, pourtant, et bien malgré eux, ils vont être réunis. Laia est une érudite qui cherche à sauver son frère des mains des Martials, accusé de haute trahison contre l'Empire il risque la peine de mort. Elias est un élève martial mais il est aussi différent des autres car épris de justice et de liberté. Alors qu'ils mènent leurs propre combats, leur rencontre va tout bouleverser.
   
Bien que l'intrigue surprenne peu et ressemble à beaucoup de romans ados parus dernièrement, ce premier tome, rondement mené et très sombre, est plutôt addictif! Plein de rebondissements et de suspens, on ne s'ennuie pas un seul instant, d'autant que l'auteure a multiplié les références pour créer un univers tout à fait fascinant. Djinns, goules, augures et autres créatures fabuleuses, sorties tout droit des contes orientaux, sont de la partie! En mélangeant certains aspects du monde antique avec une ambiance post-apocalyptique, Sabaa Tahir nous offre un roman très distrayant à l'intrigue efficace. A suivre donc!

Une braise sous la cendre, Sabaa Tahir, Ed. Lumen, 2015

vendredi 26 février 2016

"La Poudre d'escampette", de Chloé Cruchaudet

Remarquée avec la trilogie Ida et plus récemment Mauvais genre, Chloé Cruchaudet revient avec un album grand format, paru dans la toute nouvelle collection Delcourt, "les Enfants gâtés", qui s'adresse aux plus jeunes.

La Poudre d'escampette, raconte l'histoire de Paul, un jeune garçon au look de scout accompagné de sa chienne Paulette (ses parents ont un drôle de sens de l'humour!). Il est nouveau dans la ville et ne connaît personne. Alors que tous deux se promènent, Paulette l'entraîne sur un chemin de traverse, au bord du fleuve, et c'est le début de l'aventure! Paul et Paulette vont se retrouver nez à nez avec une bande de gamins et ... un énorme radeau, pardon, un "paquebot"! La petite bande s'apprête à prendre la poudre d'escampette pour atteindre la mer et voir "l'ailleurs"; vont-ils emmener Paul et Paulette dans leur voyage?



Chloé Cruchaudet signe ici une ode à l'enfance et à la nature, qui sent bon le voyage et la douceur de l'été. Dans cette aventure, mélange du Petit Nicolas et de Tom Sawyer, sans adultes, deux aspect de l'enfance sont particulièrement mis en avant : l'importance de l'imaginaire et la part de fantaisie dans le quotidien mais aussi une certaine cruauté. Paul est, en effet, "nouveau" et doit se faire accepter du groupe; il y a aussi un clan rival qui vogue sur la rivière qu'il va falloir affronter... 


Dessiné comme à l'école aux crayons de couleurs et à la pastel, l'univers mis en scène est à la fois frais et lumineux. Les personnages ont une allure plutôt rigolote avec leurs grosses têtes chevelues et leurs petits corps filiformes, et les dialogues sont à la fois riches et accessibles. La fin assez utopique, est un appel au partage! Car, comme dit Paul, "Parfois l'erreur peut donner des merveilles... Regardez les choses différemment !" Enfin, la dernière page du livre comblera de joie les petits avec une maquette du radeau à découper et coller soi-même. Voilà une auteure qui sait parler aux enfants!

La Poudre d'escampette, Chloé Cruchaudet, Delcourt, "les Enfants gâtés", 2015